top of page

Focus sur Virgile Fraisse

en conversation avec Mo Gourmelon

Saison vidéo

Mo Gourmelon :  C'est dans l'air du temps, la série est un genre qui attire l'attention des artistes.  Pour ne donner que deux exemples très récents :  Le projet de Virginie Barré en train d'être filmé intitulé  La Cascadeuse, et à la Biennale de Rennes « Incorporated ! », Liv Schulmann a organisé sa série  Contrôler  en six épisodes tout en se lançant dans le même temps une nouvelle série Que faire sur les scénaristes télé démotivés, relisant, pour l'occasion, celui de Tonino Benacquista  Saga, cité aussi accessoirement comme référence dans le projet de Virginie Barré.  Vous-même terminez votre première série intitulée  Pragmatic Chaos, composé d'un épisode pilote, de deux épisodes et d'un épilogue.  Vos références sont assez différentes :  d'où vient ce projet ?  Qu'est-ce qui vous permet d'utiliser ce nouveau quadri-séquence  format, et comment allez-vous le distribuer?

 

Virgile Fraissse :  La série est apparue dans mon travail par le biais d'une vidéo réalisée en 2014 intitulée Situations suivantes.  Il s'agissait de reproduire une chambre de scénaristes dans le contexte politique de l'Afrique du Sud.  Cinq scénaristes ont tenté de construire une comédie basée sur la vie quotidienne d'un groupe travaillant dans une mine de cuivre.  Ce qui m'intéressait alors, c'était le processus d'écriture construite.  Les projets suivants en ont hérité, en se développant en plusieurs chapitres.  Il y a le projet en cours,  SEA-ME-WE, qui est une série de films tournés dans des régions du monde reliées par un seul et même câble sous-marin qui  J'ai récemment fait un chapitre à Mumbai, et la série  Chaos pragmatique.

Pragmatic Chaos est une série en quatre épisodes tirant son nom d'un algorithme créé dans le cadre d'un concours organisé en 2009 par Netflix.  Plusieurs équipes se sont affrontées dans une course contre la montre pour améliorer l'algorithme de suggestion de films créé par Netflix, Cinematch.  Malgré les résultats probants de l'équipe BellKor et la lourde récompense d'un million de dollars, l'algorithme gagnant n'a jamais été utilisé par Netflix.  A ce moment-là, le concours était très médiatisé et j'ai voulu en faire le point de départ de quatre tableaux révélant l'impact des systèmes de suggestion et de recommandation (algorithmes) sur notre quotidien.  La série a été réalisée dans le cadre de l'exposition/programme TV  Travail Zéro  Travail à Marseille.  Chaque épisode a d'abord été diffusé en direct par cette télévision en ligne, puis mis à disposition en rediffusion.  

 

MG :  Un artiste qui se réfère au genre série ne se limite pas à une mise en forme impliquant le nombre d'épisodes ou les délais imposés.  Comment avez-vous géré ces données ?  Comment avez-vous décidé de faire quatre épisodes de différents  longueurs ?  

 

VF :  Les séries  Chaos pragmatique  a été conçu pour fonctionner avec un petit nombre d'épisodes.  Les trois premiers sont à peu près de la même longueur, tandis que l'épilogue est plus court, agissant comme un instantané.  Trois ont été tournés in situ dans le studio/espace d'exposition de La Friche, et le dernier épisode derrière les lettres marseillaises installées par Netflix pour promouvoir leur série.  

 

MG :  La série télévisée originale a été transférée sur Internet.  Les artistes qui s'y réfèrent sont aussi sur Internet, afin de trouver un moyen de diffusion.  A la télévision, dans un premier temps, on comptait sur plusieurs mois, avec la programmation d'un épisode hebdomadaire, jouant sur les tensions, les envies, les attentes, les frustrations.  Je pense à la série interminable  Place Peyton  (alors appelé un feuilleton), dont le livre de référence du même titre écrit par Grace Metalious a été réédité en 2016.  La compréhension des séries relève désormais de la simultanéité et l'ordre prévu par le réalisateur n'est pas forcément respecté.  Y pense-t-on quand on fait une série à l'heure actuelle ?

 

VF :  La stratégie de Netflix de mettre à disposition, d'un seul coup, tous les épisodes d'une nouvelle saison, a fortement influencé la production de nouvelles séries.  Par exemple, les épisodes de la série  Miroir noir  sont tous autonomes, mais traitant du même sujet, vous pouvez donc prendre la série d'un bout à l'autre.  C'est ce processus qui a influencé  Chaos pragmatique.  Seule la présence des trois mêmes acteurs convoque une possible linéarité narrative.  Les deux épisodes centraux ont été respectivement écrits conjointement par Antoine Dufeu et Georgia René-Worms.  Il s'agissait de collaborer avec elles dans des espaces critiques qui leur étaient proches, le livre et sa diffusion d'une part, et la construction d'une plateforme féministe d'autre part.  Le brief de chaque épisode était donc de renégocier les formes de la série à travers différents emprunts et influences.

 

MG :  Au-delà des références et du contexte présent à l'esprit ou non, de la commande d'un algorithme par Netflix, je suis frappé par l'emphase de vos acteurs.  Il y a un ton déclamatoire, un jeu très théâtral, une répartition des mots, une courtoisie, et en un mot l'anti- "fuck" qu'Emmanuel Burdeau affiche dans son essai sur la série  Le Fil.  Les réponses ont été répétées, j'imagine ?  Comment avez-vous choisi vos acteurs et comment les avez-vous lancés dans cette série ?  D'ailleurs, comment avez-vous dirigé vos acteurs ?  

 

VF :  Je pense que les images ont une responsabilité dans leur capacité à influencer le monde.  On l'a vu avec les élections présidentielles aux États-Unis, qui ont été fortement affectées par les shows de Donald Trump.  Je ne pense pas que « fuck », aussi cinématographique et nonchalant soit-il, représente une réponse adéquate au monde contemporain.  Au lieu de cela, je préfère une forme d'ironie plus déguisée.  L'écriture d'épisodes n'implique pas de bouffées de colère ou de révolte.  Mais cette révolte tend à se construire.  Le travail avec les comédiens consistait à accentuer l'artificialité des situations mises en scène dans un décor minimal. Il y a eu des répétitions, mais l'accent a été mis sur une forme de spontanéité, laissant plus de place à l'interprétation du texte, et parfois aux improvisations.  L'écriture théâtrale a également été renforcée par le travail de co-écriture.  Les nombreuses réutilisations d'extraits de textes dans chaque épisode vont également dans ce sens.

 

MG :  J'ai été très ému par ces personnages, cette jeune femme, par exemple, qui s'insurge contre l'usage du français, et ces deux autres jeunes hommes qui affirment une position, maîtrisant parfaitement la langue mais sans être pompeux.  Ce que j'apprécie, c'est que votre écriture ne soit pas codée, ce qui la rendrait générationnelle, ou communautaire.  Vous parlez d'un ensemble minimal pour cette série.  Vous dites que l'épilogue de  Chaos pragmatique  dialogue directement avec  Prédiction/Production, 2016.  Pouvez-vous reparler de ce film ?  Il est également présenté au programme de la Saison Vidéo 2017, et cette fois en dialogue avec  Pendaison de crémaillère, 2016, par  Effi  Weiss  & Amir Borenstein.  

 

VF :  Les trois premiers épisodes de  Chaos pragmatique  se dérouler dans un ensemble simple - quelques partitions faites de  MDF; alors qu'à l'inverse, le dernier épisode utilise un vrai décor, le verso des lettres installé par Netflix.  Cette dernière prend la forme d'une visite et confronte la démesure du projet investigué par Netflix.  Elle fait écho à ma précédente vidéo,  Prédiction/Production, qui annonçait la production de cette même série, un peu comme un film de science-fiction.   Prédiction/Production  spécule sur la construction scientifique revendiquée de la production de la série, faisant référence à l'annonce faite par le PDG de Netflix, qui affirme que les décisions concernant les lieux et le casting ont été prises à l'aide d'algorithmes.

bottom of page