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SEA-ME-WE

en conversation avec Camille Paulhan

Palais des Beaux-Arts

Camille Paulhan : Après Situations suivantes, votre installation de diplôme, qui montrait une chambre de scénaristes fictifs en Afrique du Sud, quel est votre prochain projet ?

 

Virgile Fraisse : Elle se développera à travers une série de trois films dont le premier sera présenté à l'exposition Les Voyageurs. Il tire son titre, SEA-ME-WE, du nom d'un câble à fibre optique qui relie Singapour à Marseille via Mumbai, Karachi, Alexandrie, Suez, la Tunisie ou l'Algérie. L'acronyme signifie « Asie du Sud-Est, Moyen-Orient et Europe de l'Ouest », mais je m'intéresse aussi au jeu de mots sur « la mer, moi et nous ». Je veux aller d'un port à un autre, comme un navire marchand autrefois.

CP : Dans Situations suivantes, vous avez abordé la question du cuivre, qui constitue la plupart des câbles sous-marins d'internet ; comment vous êtes-vous intéressé à SEA-ME-WE ?

VF : Je me suis intéressé aux réseaux qui permettent d'accéder à Internet et j'ai découvert que 95% du réseau n'était pas connecté via des satellites, mais avec de vrais câbles, ce qui dément l'idée que la technologie est devenue totalement immatérielle. SEA-ME-WE 4 est un câble en fibre optique au fond de l'océan, invisible mais néanmoins matériel. Donc, nos communications, nos échanges internet, dépendent de liens très concrets. Ces minuscules câbles, bien qu'invisibles, sont une puissante force économique et symbolique.

CP : Au final, vous intéressez-vous plutôt aux questions économiques ou diplomatiques ?

VF : Enjeux diplomatiques, car les États doivent gérer leur interdépendance pour pouvoir accéder à internet. Cependant, l'équilibre reste très fragile : si un câble est coupé, tout s'effondre. La question de l'interdépendance est probablement liée à mon histoire personnelle : quand j'étais enfant, ma première vertèbre cervicale s'est fracturée, ce qui m'a endommagé les nerfs. Les réseaux de câbles sur lesquels j'ai travaillé, depuis Situations suivantes jusqu'à ce nouveau projet, font référence au nerf pincé en permanence dans mon cou, qui irradie constamment la surface de mon crâne. J'expérimente quotidiennement ces relations d'énergie.

 

CP : Comment comptez-vous matérialiser l'idée d'un réseau qui s'étend sur le globe dans votre film ?

VF : Dans le film, le câble restera invisible. C'est le paratexte qui m'importe : ce sera tourné dans des ports, avec des acteurs et très peu de décor. En partant de pratiquement rien, j'aimerais faire jouer les acteurs sur un texte potentiel sur les déplacements des personnes autour de la Méditerranée, comme s'il s'agissait d'un jeu où chaque participant formule des hypothèses. Il devrait y avoir beaucoup de dialogue, inspiré par les différentes façons dont les gens écrivent en ligne, avec l'anonymat qui caractérise Internet. Le film sera présenté sur deux écrans, comme un diptyque, avec des séquences tournées à Marseille et d'autres à Palerme, les deux ports qui sont les premiers points de connexion du câble en route vers Singapour.

 

CP : Qu'aimeriez-vous que le spectateur retienne du film ?

 

VF : Je crois beaucoup à l'impact du langage, à sa capacité à créer des outils de réflexion qui mettent en lumière certaines choses qui ne se voient pas, comme ces câbles sous-marins par exemple. Mon travail n'est pas un travail de moraliste, c'est une réflexion sur le langage, sur l'interaction culturelle et l'influence de la technologie sur ces échanges. Mais c'est politique parce que la langue est politique, l'accès à l'information est politique.

 

CP : Pourquoi utiliser le médium vidéo pour travailler sur l'invisible ?

 

VF : Je crois à l'action directe, à la performance, à l'activisme. Mais aujourd'hui, notre rapport au réel a complètement changé, les structures publiques sont devenues immatérielles. Comme une vidéo, je pense qu'un film peut devenir viral. Et je crois aux virus, à la contamination.

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