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Virgile Fraisse : SEA-ME-WE

par Pierre-Alexandre Mateos

Le quotidien de l'art

La cyber-diplomatie, l'hyper-matérialité de l'infrastructure Internet aboutissant à la création d'un médium universel, le soft-power et les guerres numériques à l'échelle transcontinentale sont autant de tropes sillonnant la pratique de Virgile Fraisse. Participant au Salon de Montrouge en 2016, il présente demain, samedi 11 février, le second chapitre de son projet, « SEA-ME-WE, Chapitre deux : Of all Wired Blocks Holding a City » dans le cadre du douzième Festival Hors Pistes au Centre Pompidou, à Paris.  

Dans la lignée de ses contemporains étrangers (Simon Denny, Yuri Pattison, Laura Poitras, Adam Curtis), Virgile Fraisse déconstruit les processus de production d'informations. Consacré cette année à la thématique de la traversée, le Festival Hors Pistes, au Centre Pompidou, met à l'honneur une projection performée autour du deuxième film de son projet SEA-ME-WE réalisé en 2015. SEA-ME-WE, c 'est d'abord un sigle désignant le câble à fibre optique sous-marin dépendant de Marseille à Singapour et permettant la transmission de données. Comme à son habitude et sur des enjeux relativement peu traités dans l'Hexagone, Virgile Fraisse explore comment les nouveaux outils de communication inquiètent l'équilibre géopolitique. Le premier chapitre présenté sous la forme d'un double écran mettait en scène l'inauguration du câble sur le grand port de Marseille face à la quête a priori absurde de deux personnages embarqués sur un bateau à moteur et cherchant à écouter le câble sous- marin. Se nouent des occurrences poétiques entre les deux films, mais on voit aussi poindre les révélations d'Edward Snowden. Comme le révélant Wikileaks, SEA-ME-WE 4 fut bien victime d'une attaque d'espionnage de grande envergure menée par la NSA et visant la récupération d'informations diffusées sur ses câbles. Si l'usage de la parabole n'est pas sans rappeler les farces légères pasoliniennes ou le registre picaresque et symboliste d'Italo Calvino, c'est ici par le crible d'une menace de guerre cybernétique qu'opèrent les fictions de Virgile Fraisse . Dans le dernier chapitre, SEA-ME-WE, Chapitre deux : Of all Wired Blocks Holding a City, il nous entraîne à Bombay, jalon du câble optique et haut lieu des télécommunications où se joue un storytelling polyphonique sur fond de crise politique locale. En proie  à des manifestations, le gouvernement limite l'accès à Internet, poussant des citoyens à rechercher des alternatifs les menant au câble SEA-ME-WE. L'histoire contemporaine est alors mise en réseau avec celle plus ancienne du développement du télégraphe dans une Inde sous le jeu britannique.  

Dénuder le processus de fabrication des récits culturels et diplomatiques était aussi en jeu dans les précédents films de Virgile Fraisse. Articulés autour de l'empire Netflix, ses trois derniers projets (Pragmatic Chaos, Prédiction/Production et Scénarios d'occupation, 2016) présentent non sans ironie le système hautement scientifique derrière l'invention d'imaginaires contemporains. À l'étape de tout bon thriller géopolitique, ils sont hantés par une figure fantomatique, ici Reed Hastings, PDG de Netflix, révolutionnaire de l'Entertainment obsédé par les algorithmes et leurs applications dans le domaine télévisuel. Interroger les échanges culturels, la fabrication du discours et l'altération du langage entraînée par les dispositifs technologiques sont au cœur de ses questionnements. Comme l'a écrit l'auteur Nicholas Carr dans le fameux article Is Google making us Stupid? paru en 2008 dans The Atlantic : « mon esprit s'attend désormais à prendre l'information là où le net la distribue : dans un flux rapide et mouvant de particules. J'étais un plongeur dans la mer des mots. Maintenant, je glisse sur sa surface comme un homme sur un jet ski ».

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